Abattage Le talon d’Achille des circuits courts
Les besoins en abattage de proximité n’ont jamais été aussi importants pour les agriculteurs investis dans l’approvisionnement local. En même temps, les petits outils ont souvent du mal à se maintenir.
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Si la consommation de viande en France tend à reculer, l’approvisionnement local a le vent en poupe. Une aubaine pour les éleveurs qui, confrontés à un marché déprimé, ont décidé de valoriser leur viande en circuit court. « Encore faut-il que les producteurs puissent abattre les animaux sans faire des centaines de kilomètres chaque semaine », note Jean Letrillart, éleveur porcin dans l’Aisne. Son abattoir, à Laon, vient de fermer, l’obligeant à travailler avec une autre structure nettement moins facile d’accès. Les éleveurs concernés par cette disparition perdent sur tous les tableaux. Ceux en circuit court, qui emmènent l’animal et reviennent chercher sa carcasse, voient leur temps de trajet augmenter. Ceux qui approvisionnent la restauration en local perdent leurs débouchés. C’est le cas de Jean Letrillart. Lui qui abattait une vingtaine d’animaux par semaine n’en amène plus que cinq à sept. « Depuis trois ans, avec d’autres éleveurs de la région, nous fournissions des cantines scolaires en porc, en bœuf et en veau, poursuit-il. Mais sans cet outil à proximité, tout tombe à l’eau. »
Si l’abattoir de Laon pouvait répondre aux besoins de la restauration collective, c’est aussi parce qu’il disposait d’un atelier de découpe. « La disparition conjointe des deux entités provoque l’arrêt de l’approvisionnement en viandes locales, précise Mireille Chevalier, consultante en circuits courts à la chambre d’agriculture de l’Aisne. Car la restauration collective ne consomme pas de carcasse entière. » Bilan : les cantines concernées ont dû faire machine arrière et se réapprovisionner en viande congelée chez un grossiste. Néanmoins, Mireille Chevalier reste confiante : « Nous allons travailler à la création d’un nouvel outil de découpe dans l’un des deux abattoirs restant dans la région, assure-t-elle. Une loi de relocalisation de l’alimentation est en discussion au Sénat (voir encadré ci-dessous). D’ici 2020, toute la restauration collective devra se fournir à hauteur de 40 % minimum en produits locaux. Cela ne se fera pas sans outils de proximité. »
« Un tiers des outils ont disparu en dix ans »
Il y aurait donc un paradoxe entre l’engouement pour le « manger local » et la santé parfois fragile de ces petites structures. Les politiques se positionnent souvent en leur faveur, mais ces outils coûtent cher à entretenir et exigent une gestion pointue. « Les abattoirs de boucherie publics ont diminué d’un tiers en dix ans, soit par fermeture, soit par vente au secteur privé », indique André Éloi, directeur de la Fédération nationale des exploitants d’abattoirs prestataires de services (Fneap). Aujourd’hui, il reste un peu plus de 260 abattoirs d’animaux de boucherie en France. En 2010, le territoire comptait encore 84 établissements privés et 102 publics. Ces derniers ont vu leurs tonnages s’effondrer, passant de 62,5 % en 1980 à seulement 8,8 % en 2009. « Les volumes des 110 abattoirs privés ou publics appartenant à la Fneap représentent aujourd’hui près de 400 000 t annuelles, soit environ 10 % du tonnage national. »
Selon un rapport publié par le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER),
37 abattoirs publics et 80 privés ont mis la clé sous la porte entre 2002 et 2010, ainsi que 8 abattoirs spécialisés dans le chevreau. Cela représente un quart des abattoirs publics, 31 % des abattoirs privés et 33 % des abattoirs de chevreaux. Mais simultanément, 23 nouvelles structures sont nées, et 8 ont rouvert après fermeture.
Dans l’Indre-et-Loire par exemple, le dernier abattoir du département l’a échappé belle. Créé il y a plus d’une centaine d’années, il n’était plus adapté aux normes d’aujourd’hui. « L’ancien préfet et de nombreux éleveurs se sont mobilisés pour le conserver, explique Michel Le Pape, président de la Coordination rurale d’Indre-et-Loire. Pendant les manifestations liées à la crise de l’élevage, nous avons fait sa promotion, afin de montrer que si l’abattage de proximité ne sauvera pas l’élevage français, c’est une solution pour son maintien dans certaines régions. » Même certaines grandes surfaces jouent le jeu. C’est le cas du Super U de Bourgueil, à deux pas de l’abattoir. « Le rayon boucherie s’engage à distribuer 38 % de viande locale, se félicite Michel Le Pape. C’est pour lui une véritable vitrine. »
Dans le Sud-Est, à Digne-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence), l’abattoir local produit à peine 100 t par an, et partage son chiffre d’affaires avec un atelier de découpe. Confronté à de sérieuses difficultés financières, il a lui aussi failli disparaître. « Il fallait chaque année remettre 70 000 à 100 000 € pour conserver le niveau sanitaire et changer les outils, explique Yannick Becker, porte-parole de la Confédération paysanne des Alpes-de-Haute-Provence. C’est un outil multi-espèces, l’entretien est donc nettement plus coûteux car il doit supporter l’abattage de bovins, de porcs, de moutons et de chevaux. » Anciennement gérée par une SARL regroupant notamment des éleveurs, la chambre d’agriculture et une Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap), la structure est régie depuis le 1er janvier par une communauté de communes. « Un abattoir de proximité ne rend pas service qu’aux éleveurs, assure Yannick Becker. Il sert aussi les élus locaux qui, grâce à lui, bénéficient d’un tissu rural dynamique. C’est un outil de service public, que les communes doivent subventionner. » Un avis que ne partage pas complètement la Fédération nationale de l’industrie et des commerces en gros des viandes (FNICGV). « Qu’il produise 300 000 ou 500 tonnes de viande par an, nous sommes favorables au maintien de n’importe quel outil d’abattage qui respecte les normes, indique Hervé des Déserts, directeur de la FNICGV. Néanmoins, on ne peut pas faire vivre des abattoirs avec des subventions. »
La compétitivité au cœur des débats
Le 9 mars dernier, au Sénat, Stéphane Le Foll débattait d’une proposition de loi visant notamment à favoriser le maintien des abattoirs de proximité (voir encadré p. 14). « Je suis clairement et fermement opposé à l’adoption de cet amendement dans le cadre de l’examen du présent texte, répondait-il. En tant que ministre, je ne puis accepter que l’on demande à l’État de favoriser le maintien ou la création d’outils d’abattage sans que celui-ci soit en mesure d’assurer partout le bien-être animal et le respect des normes en matière d’abattage. » Michel Raison, sénateur de la Haute-Saône, avait renchéri : « Pour en avoir sauvé un dans ma commune, je puis vous dire que c’est difficile, y compris sur le plan sanitaire. Certes, plus il y aura d’abattoirs, mieux ce sera, mais même si le ministre se déclarait aujourd’hui partisan d’en installer un ou deux de plus dans chaque département, encore faudrait-il que ces outils puissent fonctionner dans des conditions économiques acceptables. En effet, dans la filière viande, tout le monde souffre, et même les abatteurs ne font pas forcément fortune ! Si un petit abattoir pratique des tarifs doubles de ceux d’un abattoir plus important situé quelques kilomètres plus loin, il ne sera pas compétitif. »
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